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Introduction à l’intelligence territoriale

GirardotLes principes fondamentaux de l’intelligence territoriale ont été établis par la méthode d’évaluation et d’observation Catalyse et s’articule autour de trois axes :

  • Considérer les besoins exprimés par les populations concernées comme le point de départ pour bâtir des projets d’action.
  • La participation pour réunir toutes les intelligences, susciter la coopération des volontés et des énergies, et inciter à la concertation pour dépasser les cloisonnements, les clivages et les tensions.
  • L’instrumentation scientifique. Les TIC ont permis aux acteurs de travailler en réseau en dépit de la distance et de la sectorisation. Le recours aux outils scientifiques comme l’analyse multicritère et la représentation spatiale apportent la distanciation utile à l’émergence de projets nouveaux. Ces outils sont ensuite utiles aux acteurs pour argumenter leurs projets, puis pour gérer et évaluer leurs actions. Ils leur permettent également d’observer leur territoire et d’avoir une vision prospective.

A l’époque, mais c’est encore souvent le cas, les projets étaient construits à partir des compétences des acteurs ou – pire encore – les missions étaient conçues par des cadres trop souvent éloignés du théâtre des opérations. Cette prépondérance donnée aux besoins s’est vite avérée cohérente avec le cadre conceptuel du développement durable. Catalyse a ensuite rapidement répondu aux craintes des acteurs et des usagers par trois principes éthiques : le respect de la vie privée, la coopération et la participation.

Le Projet Concerté du Département du Doubs, Mosaïque, au sein duquel Catalyse a été conçue entre chercheurs et acteurs a été une des 40 actions-modèles du 3e Programme Européen de Lutte contre la Pauvreté, puis du premier Programme Européen d’Insertion Économique et Sociale Horizon. Mosaïque a été sélectionné à la suite d’une évaluation locale du RMI qui avait montré la complexification et la diversification des besoins des bénéficiaires du RMI dans le contexte de la crise socio-économique des années 80. Les besoins débordaient les dispositifs médico-sociaux de l’état providence et supposaient le décloisonnement de l’action médico-sociale et la mobilisation des acteurs publics et privés. Mosaïque a accompagné près de 3000 personnes démunies avec de bons résultats en matière d’insertion économique et sociale. Elle a soutenu de nombreuses initiatives dans les domaines sociaux, du logement, de la prévention sanitaire et de la protection sociale, des réseaux d’entraides, du microcrédit, et surtout de l’insertion économique et sociale. La carte santé, devenue par la suite la Couverture Médicale Universelle, est l’une d’elle. Elle a fait des émules en Europe comme à Charleroi en Belgique. Mosaïque a également soutenu à l’origine les Jardins de Cocagne qui témoignent de la prise en compte de la dimension écologique parallèlement à la professionnalisation des plus démunis. L’évaluation régulière de Mosaïque à démontré, jusqu’au niveau de la Commission Européenne, avec l’appui des évaluateurs nationaux, l’importance de la problématique de l’insertion socio-économique des jeunes, des travailleurs sans qualification, des travailleurs âgés et des ruraux. Mosaïque a coordonné dès 1991, avec d’autres actions-modèles européennes et les premières Maison de l’Insertion (Huelva, Charleroi, Auxerre, Périgueux principalement), le premier Réseau Européen d’Insertion Economique et Sociale (REIES) qui a convaincu la Commission Européenne d’élargir le thème de la pauvreté vers l’insertion économique et sociale, avec le programme Horizon.

C’est dans le cadre du REIES que sont nées les ambitions scientifiques qui vont déboucher sur l’intelligence territoriale, et qu’ont été conduites les évaluations ou des observations de nombreuses initiatives innovantes, entre autres :

  • Carte Sociale, Observatoire Local de l’Emploi et évaluation du Projet Urbana « Huelva en acción » à Huelva (Espagne)
  • Evaluation des Boutiques Solidarité de la Fondation Abbé Pierre et des Haltes des Amis de la Rue
  • Evaluation de la Mission Régionale de l’Emploi de Charleroi (Belgique) du Groupement d’Employeur pour l’Insertion et la Qualification de Pontarlier, de la Maison de l’Insertion de l’ Yonne
  • Diagnostic préliminaire pour le Plan Départemental d’Insertion du Doubs
  • Réseau national d’observatoire des migrations Accem (Espagne)
  • Réseau d’observatoires régionaux pour la mise en place du revenu minimum au Portugal

En 1998, le concept d’intelligence territoriale a affirmé son ambition scientifique de rassembler « l’ensemble des connaissances pluridisciplinaires qui, d’une part, contribue à la compréhension des structures et des dynamiques territoriales et, de l’autre, ambitionne d’être un instrument au service des acteurs du développement durable des territoires ». Le travail de recherche engagé alors a débouché sur la constitution du Réseau Européen d’Intelligence Territoriale en 2002 qui regroupe des équipes de recherche et des acteurs territoriaux, puis sur l’action de coordination scientifique européenne du European Network of Territorial Intelligence (caENTI) dans le cadre du 6e Programme-Cadre de Recherche et de Développement Technologique de l’Union Européenne, de 2006 à 2009.
Les outils Catalyse ont connu une forte évolution grâce à la CaENTI, qui a engagé des recherches spécifiques dans les champs de l’observation territoriale coopérative et de la gouvernance participative.

Au delà de l’identification des possibilités et des contraintes techniques qu’elle rencontre au plan local (infracommunal notamment), l’observation territoriale s’est affirmée comme une méta-méthode pour intégrer et analyser l’information territoriale, dont l’objectif n’est plus seulement l’aide à la décision pour les gouvernants, mais aussi de devenir un outil d’information accessible à tous au service d’une meilleure participation.

La gouvernance s’affirme également, notamment au niveau territorial, comme un processus d’élaboration concertée d’un projet de développement durable en favorisant la participation de la communauté territoriale dans son ensemble, pour résoudre un problème concret dans un temps donné. L’intelligence territoriale a pris de la distance vis-à-vis des concepts d’intelligence économique, qui poursuit exclusivement une logique économique et financière. Clairement orientée vers le développement durable, l’intelligence territoriale a ajouté de nouveaux principes éthiques à la gouvernance participative : co-construction, apprentissage, solidarité, rationalité, transparence, prévention et précaution.

La caENTI a permis de construire et d’intégrer un réseau européen, passant de quinze membres en 2006 à une cinquantaine de partenaires en 2009, en Europe et dans le reste du monde. Après avoir candidaté à plusieurs programmes européens de large échelle répondant à des enjeux sociétaux importants, le réseau a obtenu en une action de coordination internationale : « International Network of Territorial Intelligence » (INTI), avec une forte participation de l’Amérique Latine et, à présent, du Maghreb. Des contacts en Asie et en Amérique du Nord, tant au niveau d’équipes de recherche que d’initiatives locales sont aussi à l’œuvre.

Face aux enjeux sociétaux exacerbés par la crise de 2008, et dans lesquels la raréfaction des énergies fossiles et les dérèglements environnementaux prenaient une place croissante l’intelligence territoriale a orienté sa réflexion vers des avancées concrètes vers le développement durable. Comment combiner concrètement les objectifs économiques, sociaux et environnementaux du développement durable au niveau d’un territoire ? Selon quel processus, quel agenda, organiser la transition socio-écologique d’un territoire vers le développement durable ? Comment renforcer la résilience d’un territoire face aux risques économiques, sociaux, culturels et environnementaux ? La transition socio-écologique, l’évolution des comportements individuels qu’elle implique, la résilience territoriale, la gouvernance latérale se sont imposés comme de nouveaux concepts clés qui ont fortement structuré les propositions de projets européens et qui sont devenus des objets importants de communications dans les conférences et séminaires internationaux du réseau INTI : « Innovation écologique et sociale » (Strasbourg, France, septembre 2010), « L’économie durable au sein de la nouvelle culture du développement » (Liège, Belgique, septembre 2011), « l’Intelligence, la Communication et l’Ingénierie territoriales » (Gatineau, Québec, octobre 2011), « Vulnérabilités et résilience entre le local et la global »  (Salerno-Caserta, Italie, juin 2012), « Intelligence territoriale et globalisation. Tensions, transition et transformation (LaPlata, Argentine, octobre 2012), «Intelligence territoriale, transition socio-écologique et résilience des territoires » (Besançon et Dijon, France, mai 2013), « Innovation sociale et nouveaux modes de gouvernance pour la transition socioécologique (Huelva, Espagne, novembre 2013) et « Vers une intelligence durable des territoires : les échelles de la résilience » Roscoff, mai 2014.

Dans le cadre des manifestations scientifiques, l’intelligence territoriale rencontre et s’intéresse également à un ensemble de concepts nouveaux qui veulent concourir au développement durable comme les assemblages, les capabilités, les biens communs, la justice environnementale, l’économie circulaire, etc., dont elle cherche la convergence au sein d’un nouveau modèle de développement fondé sur les comportements humains, et orienté vers la recherche du bien être de chacun et de tous. Elle produit également de nouveaux concepts comme la valorisation du terroir ou la qualité du territoire.

Il s’agit de permettre à chaque communauté territoriale d’orienter sa voie vers le développement durable en combinant concrètement cohésion sociale, diversité culturelle, protection de l’environnement et efficience économique.

Bien sûr ces nouvelles orientations se traduisent également per de nouvelles initiatives :

  • Observatoire de la transition socio-écologique en Franche-Comté
  • Fontaines d’Ouches, un quartier en transition, Dijon, France
  • Observatoire d’intelligence territoriale et de transformation à Minas, Urugay
  • Programme de gestion intégrée face au changement climatique à LaPlata, Argentine
  • Observatoire pour la valorisation du territoire de la Province de Ouarzazate, Maroc
  • Diagnostic sur la qualité du territoire de Béjaia, Algérie
  • Rôle des femmes dans les initiatives et luttes citoyennes pour l’amélioration de la qualité de vie environnementale, sociale et économique (Argentine, Franche-Comté, Guadeloupe)

Ainsi INTI améliore le projet concerté de recherche de l’intelligence territoriale en répondant à des appels à projet, en participant à des initiatives locales ? Ce projet, actualisé à l’occasion de chaque manifestation scientifique, propose quatre axes de recherches et deux thèmes transversaux :

  • Les territoires, liens entre espaces géographiques et communautés dans la transition vers le développement durable (Université de Franche-Comté, France)
  • Information, communication, connaissance dans une culture alternative du développement guidé par le bien-être de chacun et de tous (Université de Franche-Comté, France)
  • Agenda de gouvernance organisant les réformes structurelles et les initiatives pour la transition socio-écologique (Université de Huelva, Espagne)
  • Modèles et systèmes d’observation pour le développement durable des territoires (Université de Liège, Belgique)
  • Vulnérabilité des territoires, populations vulnérables et résilience territoriale (Université de Rennes, France)
  • Genre et développement durable des territoires (Université de Salerno, Italie)

Ce numéro spécial présentera en trois parties, les apports conceptuels dans les différents axes de recherche de l’intelligence territoriale, des initiatives marquantes, et des apports nouveaux. Notre objectif étant de sensibiliser davantage nos décideurs politiques à ce champs de recherche/action.

Houda Neffati et Jean Jacques Girardot

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